Le premier chien dont je me souviens avoir eu
la compagnie se nommait Dino, comme dans les Pierrafeu.
Rita la mère avait le don et l'autorité
auto-proclamée pour nommer les chiens
qu'elle nourrissait quotidiennement
et inlassablement, suite à l'affection
de mon père Pierre pour les quadrupèdes
canins qui ont meublé mon enfance
en Mauricie.
Et de fait, Dino faisait : "Wawawawawah"
lorsqu'on l'appelait.
Con comme une poignée de porte,
pas une discipline ne lui entrait
dans le crâne; il mâchait nos chaussures
dans ses temps libres malgré
les nombreuses remontrances
du dresseur "professionnel" qu'était
mon père, El Padre de nuestros
animales du 4e rang.
De plus, il avait la fâcheuse
manie de courir trop près
en avant du tracteur lorsque moi
ou mon frère roulions à vive allure
sur les sentiers balisés qui traversaient
les coteaux de notre terre agricole qui
alternait boisés(2) et terres arables(2).
Battre les tracteurs de mon père était
notre sport favori à Bertrand et moi.
Je me suis jamais lassé
de ce chevauchement mécanique
à quatre roues; Bertrand oui,
parce qu'il était encore plus fou
que moi très jeune.
Sauf qu'en vieillissant tous les deux,
c'est devenu une autre histoire de savoir
qui est le plus disjoncté. Nous revendiquons
le statut plus ou moins inconsciemment
chaque fois que l'on échange.
Je dirais que c'est moi en 2009
sous toutes réserves.
La folie m'apparait comme l'amour:
difficile à définir parce qu'elle
ou il nous dépassent.
(...)
Un jour de printemps de mes 7 ou 8 ans,
en 1969 ou 70 somewhere, Bert devait avoir
11 ou 12 ans, l'idée lui prit de foutre le feu
au réservoir d'essence servant
à remplir les tracteurs de notre ferme.
Il voulait faire un coup d'éclat,
une folie pure j'imagine,
faudrait que je lui demande.
Lui ai dit du haut de mes 3 pommes:
"Arrête, non, fais pas ça!"
Et lui l'aîné de me répondre:
Haha ouii, je mets le feu ça va être drôle!
"Ça va être drôle".
Ouais, très drôle ce fut.
Il crissa le feu au boyau de caoutchouc
qui reliait le bec-verseur au réservoir
de 300 litres à l'aide d'allumettes.
Caoutchouc,allumettes, alouette et
signaux noirs de fumée dans le ciel.
Alertant Pierre qui travaillait aux champs
pas loin mais dont la vue directe était obstruée
par le premier coteau boisé.
Il descendit en trombe-(roulant encore
plus vite que nous dans nos rêves les plus dingues
sur le gros Ford semi-automatique qu'il n'a jamais
voulu nous laisser conduire seuls, avec raison)-
pour voir au plus sacrant
ce qui se passait, lire ses mioches
se débattant pour éteindre le feu
avec du sable pelleté et jeté laborieusement
sur le tuyau qui brûlait, une fois que Bert
eût réalisé la gravité de son geste qui aurait
pu nous péter à la gueule.
Risible tentative d'enfants n'ayant pas accès
à une source d'eau proche,conjuguée à l'absence
très temporaire de la mère et l'urgence de
la situation.
Pierre était en mode panique dans les yeux
lorsqu'il descendit de sa monture,criant:
"Ôtez-vous d'là VITE, éloignez-vous!"
En moins de temps qu'il faut pour dire "Boum",
il nous saisit tous les deux à ras son corps
près du réservoir,nous arrachant de terre
comme deux brins d'herbe pour nous déposer
en lieu sûr près de l'entrepôt et nous asséner un:
"Bougez pas d'ici".
Son regard et sa poigne sur nos bras
nous convainquit de ne pas s'obstiner
ni de bouger d'où nous étions pendant
qu'il éteignait le feu avec des seaux
d'eau puisé du robinet extérieur sur
le mur Est de la maison.
Suite à ses révélations,Bert fut réprimandé
sans violence mais avec force discours et
suppression de ses activités favorites pendant
quelque temps.
Pas moi. Jeune, j'étais plus sage que lui.
Aujourd'hui c'est l'inverse.
C'était l'époque où mon père faisait dans la patate
à grande échelle, I mean big, really big culture
de pommes de terre avec employés et toute la
bastringue mais bon c'est une autre histoire.
Revenons à Dino, le chien.
C'est chien ce qui m'est arrivé avec Dino.
M'en rappellerai toujours comme si c'était hier.
On pressentait tous dans la famille
qu'un jour Dino passerait à la casserole.
C'était qu'une question de temps vue sa stupidité.
Dino le crétin, cervelle d'oiseau à quatre pattes.
(les coeurs sensibles feraient mieux d'arrêter leur
lecture ici; avis est donné, gratos et sans pathos)
Un jour, je pris le tracteur pour faire
une ballade sur les sentiers, Dino
courait en avant de la roue avant droite,
comme d'habitude tel un crétin
de chien stupide depuis sa naissance.
Au début du deuxième coteau sa queue
et ses pattes arrières furent prises
par la roue avant droite,
je m'en rappellerai toute ma vie malgré
les freins appliqués de toutes mes forces
trop tard,son corps happé en une fraction
de seconde roula d'abord sous la première
puis sous la roue arrière du tracteur
beaucoup plus lourde en un hurlement
de douleur canine, il tournoya sur lui-même
tel un diable de Tasmanie, l'échine brisée mais
toujours vivant sur le bas côté où il atterrit.
Je descendis du véhicule et le vit, gisant.
Ses yeux déconfits de douleur,
incapable de bouger, paralysé.
J'avais écrasé Dino.
Paniqué, je rentrai à la maison pour annoncer
l'accident à mon père qui me dit:
"Ça devait arriver avec Dino,
reste ici je m'en occupe, il est où?"
-Au début du 2e coteau sur le bord
du chemin, lui dis-je.
-Ok fais-toé zen pas Yvan, vas souper.
Souper...Non. J'avais pas faim.
Je vis mon père prendre sa carabine,
partir avec le même tracteur
pour terminer un épisode
de mon enfance campagnarde,
mettre fin aux souffrances de Dino
et l'enterrer sans que j'en vois rien.
Pierre a su s'occuper d'une besogne
pour son jeune fils expérimentant
la mort provoquée, sans voir l'enterrement.
Aujourd'hui je lui en suis reconnaissant
car elle est toujours taboue en 2009
et bien avant.
Elle le sera bien au-delà aussi,
tant que l'on aura pas su y
faire face pour l'apprivoiser.