dimanche 6 avril 2008

Carte blanche à Horschamp




J'en suis encore totalement imbibé. J'ai pas rêvé niaiseux la nuit dernière, j'étais sur un nuage.
Dans le cadre de l'évènement "Carte blanche" à Horschamp(revue québécoise de cinéma) qui a lieu à la Cinémathèque Québécoise du 2 avril au 18 mai, le comité éditorial, composé d'André Habib, Nicolas Renaud et Simon Galiero nous a concocté des projections de films rares ou peu projetés. Une occasion unique de se régaler d'oeuvres fines et majeures, malheureusement trop peu appréciées.

Nicolas nous a fait une brève et intéressante présentation du programme en deux parties:

1-"La Nahanni" de Donald Wilder, un court de 18 minutes éblouissant (tournée en 35 mm/couleurs en 1962) et merveilleusement bien préservé, sur l'histoire d'un papy aux nerfs d'acier (Albert Faille-73 ans) voulant trouver de l'or en amont de la rivière du même nom, après 7 tentatives infructueuses ayant coûté la vie à de nombreux aventuriers habités par la même obsession.

Mais pas lui, on le voit donc naviguer et ramer sur cette rivière majestueuse et sauvage du Nord-Ouest Canadien. Il faut voir le visage déterminé d'un homme de cet âge sur grand écran, grimpant son bagage sur plus d'un kilomètre pour éviter une chute d'eau, reconstruire sa chaloupe à moteur et repartir en amont...Quand on est obsédé, on est obsédé. Un documentaire précieux et méconnu, teinté de tragédie, chapeauté par l'ONF. Un très bon montage et une musique du temps ajoutent au charme irrésistible de l'ensemble.
........

"Papy vieux fou, j'te l'avais dit...T'aurais mieux fait de rester dans ta chaise à te bercer au lieu d'aller t'éreinter sur cette rivière ben non, fallait qu'tu r'montes dans ta galère..."
(...)


2- "The White Diamond" de Werner Herzog, 2004, documentaire, format numérique, 100 min.

Suivant "Wheel of Time"(2003) et précédant "Grizzly Man" et " The Wild Blue Yonder" (2005), jamais documentaire n'aura porté un titre aussi juste: " Le Diamant Blanc". Car ça brille, c'est brillant comme une lumière intense.

Un Herzog Majeur, dont le suivant "The Wild Blue Yonder"(en filiation directe) servira d'écrin à ce joyau documentaire brut, qui le précède pourtant dans le temps. Celui-ci étant supérieur à celui-là à mon avis, dabord par la musique qui fait plus corps et âme avec l'image dans le Diamant, plus transcendante et enveloppante, moins redondante et répétitive. C'est dailleurs le même compositeur: Ernst Reijseger qui signe la musique des deux documentaires, mais qui se surpasse ici en ajoutant une dimension métaphysique aux images souvent d'une beauté rare et subjuguante. C'est tellement beau par moments, que ça devient comme une méditation aux yeux ouverts, le summum de la "médite" dans mon livre, mais ça c'est un autre sujet.

Bon, mais encore, de quoi s'agit-t'il au juste? De kessé ça raconte?

Ben ça commence avec une ouverture jouissive sur l'histoire de l'aviation avec force films d'archives magistralement orchestrés, avec narration du maître de sa voix posée et calme.( Ah le grand écran hier soir, programmation magistrale (bravo) de deux documentaires complémentaires que je vous souhaite de voir sur GRAND écran, ou une belle grosse tévé à cristaux liquides, mettons 42 pouces minimum :)


Puis coupure d'archives pour tomber dans le réel (assez abruptement) afin de nous présenter l'ingénieur aéronautique Graham Dorrington derrière sa nouvelle invention: un mini-ballon dirigeable pour survoler les forêts amazoniennes. Le film est dailleurs en majeure partie tournée en Guyane. Le personnage semble de prime abord un peu risible par sa folie d'inventeur voulant s'extirper de la gravité par une invention somme toute très discutable dans le domaine strict des transports: les mini-ballons aidés d'hélices motorisées, hyper-sensibles et capricieux au vent, et pour un usage très limité.

La poésie Herzoguienne ne tarde pas à s'installer par la suite, et Herzog nous prend la main en transcendant totalement son sujet tout en lui faisant ras-le-corps par sa sensibilité de cinéaste pouvant faire du macro autant que du panoramique d'ensemble. C'est sa signature unique dans la cinématographie mondiale. En fait, Herzog est un poète en mal d'héros, de personnages plus grands que nature.
La témérité stupide, versus le courage justifié. La ligne ténue qui définie le génie visionnaire du fou. Serait-ce une question de discipline et de volonté intelligemment appliquée?

Serait-ce que la suprême intelligence navigue toujours dans des eaux troubles pouvant la faire basculer dans la folie inconsciente? Great intelligences are not easy to deal with...
Qu'est-ce qui fait qu'une intelligence supérieure peut basculer et à l'inverse, s'élever?
Comment peut-on juste se maintenir à flots? Les manières de couler à pic ont été maintes fois répertoriées il me semble, mais comment peut-on s'élever de manière définitive?
Ces sujets me passionnent, ça doit être pour ça que je suis fan d'Herzog, mais pas fini.
("Rescue Dawn", c'est loin d'être majeur, j'y reviendrai dans une rafale DVD future.)

Il n'y a pas seulement la vérité extatique qui m'importe, et là je diffère un peu d'Herzog mais pas tant que ça, sauf cette nuance: The naked truth. La vérité nue, sans extase, elle existe.
Mais elle n'est pas unique je crois. M'enfin....

Revenons au film, sur grand écran Herzog donne au format numérique ses lettres de noblesse.
L'image est d'une précision chirurgicale, même dans les zones sombres. Ce qui conforte mon idée du: "Peu m'importe le format, c'est la main et l'oeil qui tient l'appareil numérique ou 35 mm qui importe". L'important est ce que l'on fait du format choisi. Le message importe cent fois plus que la méthode.

Le pseudo-débat du : "Le 35 mm restera toujours meilleur que le numérique, plus noble, plus sacré, plus profond" etc..., c'est dépassé quant à moi.

Le numérique sert admirablement bien le documentaire parce que plus près des personnages et du sujet, sans distanciation procurée par le 35 mm. Je m'avance en terrain hasardeux, je sais.
Le 35 mm met un voile, comment dire, un voile translucide qu'on ne voit pas, mais que l'on ressent à l'oeil, au visionnement par la profondeur de champ. Alors que le numérique COLLE littéralement au sujet, il fait corps et transmet l'image précisément telle que vue sur place.
Plus près de la réalité, donc prescrit pour un doc. Je juge pas le 35 mm ici, j'essaie de voir les possibilités, c'est tout.
Pour une fiction, faut voir la main qui tient les commandes, quitte à ajuster avec les logiciels disponibles. La main qui tient l'épée n'est pas nécessairement meurtrière.

Je citerai Claude Chabrol sur le débat en 2004, dans le bouquin "Comment faire un film":
"À mon avis, les nouvelles techniques sont encore assez mal contrôlées, en particulier le DV, dont je ne suis pas sûr qu'il soit idéalement au point pour qu'on puisse l'utiliser systématiquement.
Mais les frais qu'il entraîne sont bien moindres, et nous allons sans doute aboutir à trois formes de cinéma: un cinéma à jeter, un cinéma réalisé traditionnellement avec caméra et pellicule, et un cinéma DV."
J'ajouterai que le numérique se rapprochera de plus en plus de l'effet recherché par un cinéaste.

Dans le cas de "The White Diamond", j'avoue avoir eu affaire à une transcendance du sujet malgré le format. C'eût été en 35 mm, mon opinion n'aurait pas varié.
La beauté des images numériques dans ce cas-ci sur grand écran n'a en aucun cas altéré mon appréciation générale du film au contraire, ça m'a bercé et soufflé comme un gaz hélium. C'est un faux débat, le 35 mm versus le numérique. Je le répète, c'est la main et l'oeil derrière le format qui compte, et c'est à voir dans ce cas absolument remarquable.

5 commentaires:

Antoine a dit...

Et bien on était là en même temps, je suis allé à Montréal 4 jours pour assister aux programmes. Je suis le dernier retardataire qui est arrivé au tout début de Nahanni pour s'asseoir en avant à droite. :-)

Je suis un public conquis d'avance, mais bon, je suis d'accord avec toi, très beau documentaire complètement herzogien.

Pour ce qui est de l'aspect numérique, je ne suis pas convaincu. Il est vrai qu'on s'en fout un peu quand il interview le scientifique dans son laboratoire, mais j'aurais bien aimé voir la partie en forêt en 35 et même 16mm. D'ailleurs tout n'est pas complètement en DV. J'admets cependant que les idées comptent pour beaucoup, par exemple vers la fin quand le reflet du ballon se fait sous-marin, flottant entre ciel et mer... Superbe, même en numérique.

Selon SG, il faut absolument voir Johnny Guitar le 19 avril, ils ont mis le paquet pour l'avoir. Je vais essayer d'être là.

Non scuse, je viens de lire sur le film, JE SERAI LÀ.

Yvan a dit...

Cher ami, on s'est encore manqué :)
Décidément...zon était là en même temps!(et je n'oublie pas que tu me dois une revanche aux échecs)

J'y serai le 19, à moins qu'un viaduc me tombe sur la tête.
Tu n'es pas convaincu par le numérique?
Tu m'énerves avec ton "Superbe, même en numérique" ;) !

Qu'est-ce que le 35 ou 16 mm auraient pu ajouter de plus, dis-moi, sauf une distanciation "noble" un peu surfaite par nostalgie et désir de luxe? Jamais le 35 mm n'aurait pu transmettre l'image de la goutte d'eau avec la chute qui s'y réflète avec une telle définition d'image!

La seule différence que j'y vois(entre le 35mm et le numérique)c'est un désir de luxe sur grand écran dans les cas de documentaires. Non pas que j'accorde la voix divine à Claude Chabrol, mais il a dit ceci: "Le film 35 mm deviendra un objet de luxe"...
Je dis pas pour les fictions, c'est une autre histoire, mais pour les documentaires, j'affirme haut et fort que le numérique est là, bien présent, plus proche du sujet.

On s'en reparlera peut-être le 19 cher Antoine. :)

Yvan a dit...

Je t'ai pas vu arrivé pantoute.
Exactement comme lors du programme de courts au dernier FNC.
Normal, on s'est jamais vu avant ;)

Antoine a dit...

«La seule différence que j'y vois(entre le 35mm et le numérique)c'est un désir de luxe sur grand écran dans les cas de documentaires.»

Je suis d'accord. Avec les années nous avons développé des habitudes moins exigeantes envers le documentaire, notamment par l'utilisation répandue de caméras légères commandée par la plus grande malléabilité sur le terrain. Mais que serait Nanook of the North en numérique?

D'un autre côté, ce n'est probablement qu'une question de temps avant que la qualité des caméras, des supports et des projecteurs numériques ne surpassent celle des technologies liées à la pellicule. Certainement une question d'habitude aussi. Mais je fais partie des lents. :-)

Yvan a dit...

Pas vu "Nanook of the North" mais curieusement, on retrouve un Nanook du Nord sur une toune de l'album "Apostrophe" de F.Zappa...

Et que serait "La Nahanni" en numérique effectivement.
Finalement,au moment où on s'écrit, c'est un choix esthétique et pratique en plus de l'habitude comme tu dis, il se fera du 35 mm encore longtemps notamment à cause de son charme visuel et sa profondeur mais on peut poser la question:
Le 35 mm est-il le super 8 sonore du futur?